Aujourd'hui, les écrans sont si présents dans le quotidien des familles qu'il devient difficile de contrôler l'usage qu'en font les enfants à la maison, à l'école et à l'extérieur. Certains adolescents semblent même ne plus pouvoir s'en passer. Est-ce une vraie addiction ? Quelles solutions d'accompagnement mettre en place plutôt qu'une interdiction d'usage pure et simple ? Addictologue, fondateur du cabinet GAE Conseil et auteur de Tous accros aux écrans. Cyberdépendances : que faire et comment en sortir ? (2022), Alexis Peschard donne des réponses et des conseils aux parents.
À ce jour, ni la Classification internationale des maladies onzième révision (CIM-11) de l'OMS, ni le Manuel DSM-5 de l'Association américaine de psychiatrie, qui sont les références mondiales en la matière, ne reconnaissent l'"addiction aux écrans" comme une addiction ou ce qu'on appelle les troubles de l'usage liés à l'addiction aux écrans. Néanmoins, les praticiens s'accordent à reconnaître la pratique addictive et ce qui fait la dépendance aux écrans. Alors que l'hyperconnexion (plus de 7h30 quotidiennes passées sur un écran, toutes pratiques confondues) n'implique pas obligatoirement d'addiction, la cyberdépendance concerne celui ou celle qui ressent un besoin irrépressible d'accès aux écrans (le smartphone devient un "doudou digital" jusqu'à la nomophobie) et/ou aux activités en ligne (réseaux sociaux, séries TV, jeux vidéo, achats compulsifs…).
Pour savoir si votre enfant présente une addiction aux écrans, il est possible d'utiliser le concept des 5C, développé par Laurent Karila, psychiatre addictologue :
Si les 5C, et tout particulièrement la perte de contrôle, sont présents sur une période de 12 mois consécutifs, alors on peut vraiment parler d'addiction.
Au-delà de la question de la gestion du temps d'écran et des usages numériques des enfants à la maison, les parents font face à la pression sociale. En effet, l'âge du premier smartphone correspond souvent à l'entrée au collège, soit entre 10 et 12 ans. Il devient un outil incontournable avec la création de groupes WhatsApp dans les classes pour les devoirs, l'aide aux devoirs, les échanges entre parents et enfants… Les parents qui voudraient limiter ou retarder l'accès aux écrans connectés se retrouvent face à la pression du groupe, notamment de la partie scolaire. En outre, les parents s'inquiètent des risques en ligne (cyberharcèlement, pédocriminalité…), à juste titre, et l'accompagnement des enfants à l'éducation numérique est une problématique récurrente : comment encadrer le temps d'écran, les usages en ligne, l'accès à internet… Certains parents se sentent également dépassés sur le plan technologique et ne maîtrisent pas eux-mêmes les outils numériques utilisés par leurs enfants. En revanche, la question des conséquences sur la santé des enfants est surtout soulevée par les enseignants qui s'attachent à sensibiliser les parents, ce qui montre une certaine méconnaissance des impacts négatifs du numérique sur ce point (problèmes de sommeil, de surpoids…).
S'il y a, bien sûr, une prévention indispensable à mettre en place contre les pratiques déviantes ou les pratiques à risque, il faut surtout mener une vraie éducation au numérique. Il ne faut pas diaboliser l'outil ou l'usage d'internet, mais plutôt adapter le temps d'écran à l'âge de l'enfant, la manière de l'utiliser et le support, en appliquant la règle des 3-6-9-12 de Serge Tisseron. Sans oublier la question de l'accompagnement à l'usage des réseaux sociaux qui mérite d'aborder les notions de respect d'autrui et de soi, de la liberté, de la façon de communiquer en ligne…
Outre l'accompagnement à l'usage du numérique, il est également important d'établir des règles d'utilisation à la maison. Vous pouvez notamment coconstruire une charte numérique en famille à partir du site Faminum.com. Les écrans pourront alors être bannis des temps de repas afin de favoriser les échanges verbaux et de garantir des prises de nourriture plus saines, car on mange moins bien et souvent plus lorsque notre cerveau est happé par un écran. Ils devraient aussi, bien sûr, être restreints à certains lieux de la maison (ex : dans le salon, mais pas dans la chambre) et à certains horaires (ex : pas d'écran avant de se coucher). Pensez aussi à programmer des moments de déconnexion en famille.
Par ailleurs, la cohérence entre les règles et les agissements des adultes est de mise. Si, en tant que parent, vous refusez à votre enfant d'utiliser son smartphone alors que vous passez vos soirées à scroller sur les réseaux sociaux, la règle ne sera ni comprise ni acceptée par l'enfant.
Avant tout, il ne faut pas confondre la "crise" d'un enfant qui exprime à sa manière d'enfant une frustration ou une incompréhension face à une interdiction d'usage des écrans avec une véritable addiction. Si addiction il y a (en s'appuyant sur les 5C de Laurent Karila), les professionnels de santé sont les meilleurs interlocuteurs : en première intention, votre médecin traitant ou votre pédiatre. Le cas échéant, il est possible d'être reçu en consultation des jeunes consommateurs (CJC) par une équipe pluridisciplinaire spécialisée en addictologie qui accompagne le jeune et les parents.