
"On ne peut pas limiter les écrans si on n'offre pas une alternative"
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Entretien avec le psychiatre Serge Tisseron, à l'initiative du programme 3-6-9-12+ qui milite pour une éducation et une utilisation raisonnée des écrans en famille.
Combien de temps par jour est-il "raisonnable" pour un enfant de primaire ou de collège de rester devant les écrans ?
Il faut distinguer le temps distractif du temps imposé par les demandes des enseignants. Et le temps d'écran distractif doit prendre en compte le fait que certains écrans distractifs sont aussi éducatifs. Si on cherche à fixer des chiffres, on parle de passer progressivement de 30 minutes à 2 heures d'écran par jour à partir de 6 ans. L'Académie américaine de pédiatrie préconise de ne jamais dépasser 2 heures d'écran distractif par jour.
En tant que parents, surtout d'adolescents, il est impératif d'établir une relation de confiance avec l'enfant qui permet de savoir ce qu'il fait sur les réseaux sociaux. Une heure par jour sur les écrans à faire défiler des vidéos en boucle toxique sur TikTok n'équivaut pas à 2h avec des camarades à partager des vidéos amusantes. Dans un cas, il n'y a pas de socialisation de proximité, dans l'autre si.
Au-delà de ce temps, quelles sont les conséquences psychologiques et physiques ?
Au-delà de ce temps, il y a du temps perdu pour beaucoup d’autres activités, et des risques accrus de harcèlement, de pornographie, de fake news et de théorie du complot. Ils peuvent être prévenus par l'éducation. Si tout le monde peut un jour être victime de harcèlement, il y a ceux qui en parlent et ceux qui n'en parlent pas. Pareil pour la pornographie. Ceux qui en parlent, c'est ceux qui ont un environnement favorable pour en parler c'est-à-dire ceux pour lesquels il existe un moment dédié aux échanges. Et ce moment, c'est le repas du soir pris sans écran. La prévention du harcèlement, de la pornographie et des fake news relève d'un climat familial serein dans lequel les enfants savent leurs parents prêts à les écouter quel que soit ce qu'ils disent.
L'autre gros problème des écrans, c'est le manque de sommeil. Ils entraînent une chute de la quantité, mais aussi de la qualité du sommeil à cause de la mélatonine, l'hormone de l'endormissement dont la sécrétion est perturbée par la lumière bleue des LED qu'il y a derrière les écrans. Et le manque de sommeil a des conséquences dramatiques. Il invite à manger un peu n'importe quoi n'importe quand, crée des difficultés relationnelles - quand on n'a pas dormi, on s'énerve plus facilement – et réduit les capacités d'attention et de la concentration, avec des conséquences sur les résultats scolaires.
Comment limiter le temps d'écran d'un enfant de primaire ou d'un adolescent ?
Il faut tout d'abord encourager les parents à mieux comprendre ce que leurs enfants font sur les écrans et à fixer avec eux des limites raisonnables, c'est-à-dire qui n'empiètent pas sur des activités de proximité et sur les travaux scolaires. Par ailleurs, il faut limiter, voire réduire la consommation d'écran des parents et puis, établir des règles familiales. Il y en a deux : prendre les repas du soir sans télévision, sans portable, et pas de téléphone dans les chambres. Enfin, il faut favoriser des activités collectives : jeux de plateau, jeux de plein air, regarder les films ensemble… On ne peut pas limiter les écrans si on n'offre pas une alternative.
Quand doit-on vraiment s'inquiéter de la consommation d'écran d'un enfant ?
Il faut tout d'abord encourager les parents à mieux comprendre ce que leurs enfants font sur les écrans et fixer avec eux des limites raisonnables, c'est-à-dire qui n'empiètent pas sur des activités de proximité et sur les travaux scolaires. Par ailleurs, il faut limiter, voire réduire la consommation d'écran des parents et puis, établir des règles familiales. Il y en a deux très importantes : prendre les repas du soir sans télévision ni portable, et interdire les téléphones la nuit dans les chambres. Enfin, il faut favoriser des activités partagées : jeux de plateau, jeux de plein air, regarder les films ensemble… On ne peut pas limiter les écrans si on n'offre pas une alternative.
Le problème est-il irrémédiable ? Y aura-t-il des conséquences sur le futur de l'enfant ?
Non, rien n'est jamais irrémédiable. En revanche, il faut avoir des espaces de parole avec l'enfant. Il faut également absolument avoir en tête que plus l'enfant est jeune, plus les mauvaises habitudes se prennent. Des études ont notamment montré que plus un enfant est exposé à la télévision à l'âge de 3 ans, plus il a de chance de devenir un grand consommateur de toutes les formes d'écran en grandissant. D'autre part, quand il y a de mauvaises acquisitions de base (langage, mathématiques…) parce qu'un enfant a été fatigué par les écrans, cela a des conséquences à long terme. Il faut donc se préoccuper de la consommation des écrans de l'enfant dès la naissance, mais aussi de celle des parents parce que c'est très important de donner le bon exemple.
Comment prévenir les troubles liés aux écrans ?
D'abord en développant chez les enfants le goût du jeu et en faisant en sorte qu'il y ait des espaces de jeu. Mais aussi en développant les activités sociales. L'accompagnement des parents avec les écrans est également important. Enfin, il doit y avoir un apprentissage de l'auto-régulation, c'est-à-dire imposer des tranches horaires avec ou sans écran. L'idée est d'apprendre à l'enfant à attendre. Les parents ne doivent jamais répondre à la demande d'écran et s'en tenir à un temps fixé et ritualisé.
En créant les balises 3-6-9-12 en 2008, j’ai proposé quatre conseils : limiter les temps d'écran, choisir des programmes de qualité et destinés aux enfants, parler avec eux de ce qu'ils regardent et font avec les écrans et privilégier les activités de création avec ou sans écran. Certains jeux vidéo sont très bien faits tandis que d'autres sont abrutissants. Et bien sûr, il faut limiter l'accès aux technologies selon l’âge. Cela signifie notamment pas de smartphone avant 13 ans. Mais aussi mieux informer parents et enfants, notamment sur les dangers des réseaux sociaux.