“En apprenant à l’enfant à feindre l’indifférence et à tourner les attaques en ridicule, nous déstabilisons les harceleurs”

Face à l’étendue du harcèlement scolaire, de plus en plus d’acteurs s’engagent pour aider les parents et les enfants à tenir bon. Dans ce contexte, Emmanuelle Piquet a fondé l’association Chagrin scolaire pour lutter contre les souffrances en milieu scolaire. Aidodarons lui donne la parole pour en savoir plus son engagement.

Après une carrière de 15 ans en tant que DRH, vous vous êtes orientée vers la psychologie et la thérapie. Pourquoi cette reconversion ?

J’aimais résoudre des problèmes relationnels et accompagner individuellement les personnes. La thérapie m’a permis de me consacrer entièrement à ces deux aspects, sans les contraintes du métier de DRH.

En 2008, vous avez créé l’association "A 180 degrés Chagrin scolaire"  pour lutter contre les souffrances en milieu scolaire. Quelles observations vous ont conduite à fonder cette association ?

En recevant de nombreux enfants et adolescents, j’ai constaté que beaucoup souffraient dans la cour de récréation sans faire le lien avec leurs symptômes (énurésie, attaques de panique, colères…). Ce problème global relève d’un enjeu de santé publique. J’ai voulu agir pour aider ces enfants en détresse.

Votre méthode repose sur les principes de l'École de Palo Alto, visant à modifier les relations dysfonctionnelles plutôt que les individus. Comment cela fonctionne-t-il dans les cas de harcèlement scolaire ?

Le harcèlement est une escalade où un enfant se retrouve en position de soumission face à un ou plusieurs harceleurs. L’objectif est de rééquilibrer cette relation en travaillant avec l’enfant harcelé, car les harceleurs n’ont aucun intérêt à changer. Plutôt que d’essayer de moraliser ces derniers, nous aidons la victime à reprendre du pouvoir.

Quels outils sont les outils que vous fournissez aux enfants harcelés et en quoi sont-ils efficaces pour inverser le rapport de force ?

Nous misons sur trois compétences : le courage de l’enfant harcelé, son sens de l’observation et l’auto-dérision. En lui apprenant à feindre l’indifférence et à tourner les attaques en ridicule, nous déstabilisons les harceleurs. Dans certains cas, il faut aller plus loin et exposer leur comportement de manière inconfortable pour eux. L’intervention rapide est essentielle pour enrayer l’escalade de violence.

Chagrin Scolaire propose des formations aux professionnels de l'éducation. Quels sont leurs principaux défis et comment vos formations les aident-elles ?

Beaucoup d’enseignants sont démunis face au harcèlement. Nous leur fournissons des outils concrets pour accompagner les élèves et avons mis en place un programme, "À l’attaque du harcèlement", qui forme des référents dans chaque établissement. Une enquête de 2022 a montré que 64 % des collégiens pensent que les adultes ne savent pas gérer ces situations. Un constat glaçant. Nous devons changer notre approche pour mieux aider les enfants.

Depuis la création de Chagrin Scolaire, avez-vous observé une évolution des formes de harcèlement ou de la prise de conscience sociétale ?

Les chiffres stagnent et 40 % des cas que nous traitons concernent l’invisibilisation et l’exclusion, aussi douloureuses qu’un harcèlement visible. Les enfants harceleurs ont adapté leurs stratégies pour éviter les sanctions, mais n’ont pas renoncé à la toute-puissance que leur procure le harcèlement. Car ils y prennent un certain plaisir, immoral certes, mais qui est toutefois existant.

Quels sont les signes qui doivent alerter les parents et enseignants sur une situation de harcèlement, même lorsque l’enfant ne s’exprime pas clairement ?

Observez les changements de comportement : anxiété marquée le dimanche soir, maux de ventre récurrents, enfant autrefois doux devenant agressif… Pour les enseignants, reconstituer le puzzle en observant et en interrogeant discrètement les élèves concernés peut être révélateur.

Lorsqu’un cas de harcèlement est détecté, quelles sont les premières actions à mettre en place ?

Écouter l’enfant, accueillir ses émotions sans précipiter d’actions. Lui demander ce qu’il attend permet de lui redonner du pouvoir. Il est essentiel que l’intervention ne renforce pas la dynamique du harcèlement.

Quels conseils donneriez-vous aux parents d’un enfant victime pour les aider à le soutenir et à collaborer avec l'école ?

  1. 1. Exprimer son inquiétude sans forcer l’enfant à parler et respecter son silence s’il en ressent le besoin.
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  3. 2. Éviter d’intervenir de manière impulsive, au risque d’aggraver la situation. Mieux vaut accompagner l’enfant dans la gestion de sa relation avec les harceleurs.

3. Partager son propre ressenti avec l’enfant : exprimer son émotion, y compris en pleurant, peut l’aider à se sentir compris et soutenu.

Thelma Susbielle est journaliste, diplômée d'un master à la Sorbonne Nouvelle et d'une licence de Lettres et Sciences Humaines. Spécialisée en pop culture et société, elle est sensible aux problématiques d'éducations et aux questionnements traversés par la jeunesse depuis longtemps.